Adyashanti – L’ego

La spiritualité a pour bouc émissaire l’ego. Du fait qu’il n’y a vraiment personne à blâmer pour tout ce qui survient dans notre existence, nous fabriquons cette notion dite ego pour essuyer les reproches. Cela entraîne une énorme confusion, car celui-ci n’a pas d’existence véritable. Il s’agit d’une simple idée, d’une étiquette apposée sur un mouvement auquel nous avons rat-taché notre sentiment d’identité.

Si nous réfléchissons au fait que l’ego n’est qu’une conception qui n’a aucune existence, nous constatons que plusieurs personnes spirituelles lui attribuent à tort tous les éléments dont il faut, à leur avis, se débarrasser. Elles conçoivent erronément que tout état intérieur – une pensée, un sentiment, une prédisposition ou un instant de souffrance – témoigne de la véracité de l’ego; elles croient que puisque tel ou tel état s’est manifesté, alors l’ego existe. Elles imaginent qu’elles ont un ego parce que ces états intérieurs en révèlent l’existence.

Tout ce que nous sommes en mesure de découvrir, ce sont ces témoignages, ces preuves de l’existence de l’ego, mais l’ego lui-même, nous ne le repérerons jamais. Quand je demande à quel-qu’un de chercher l’ego, il / elle ne parvient pas à le trouver. Il n’existe pas. Une pensée de colère ou une émotion déclenche la croyance : « Oh, il faut me débarrasser de ça – c’est mon ego. Comme si tout ce qui survenait à l’intérieur d’un être humain, percevons l’ego tel qu’il est. Cela induit une cessation naturelle du mouvement allant vers ou s’éloignant de quelque chose. Cette cessation doit se produire tout doucement et très naturellement parce que la tentative d’arrêter, c’est encore un mouvement. Tant que nous tentons d’accomplir ce que nous croyons être spirituellement juste en cherchant à nous défaire de l’ego, nous le perpétuons. Constater tout simplement qu’il s’agit encore du verbe egoer per-mettra de cesser sans effort.

Cent chênes auront des personnalités différentes, mais pas d’ego. Donc, la cessation de ce verbe dit ego n’a rien à voir avec la cessation de la personnalité. Cela n’a rien à voir avec quoi que ce soit que nous puissions cerner : ni pensée ni sentiment et ni ego. S’il nous fallait arrêter ou s’il fallait que le monde cesse pour que nous soyons libérés, ce serait catastrophique. C’est le mouvement de devenir, le mouvement allant vers ou s’éloignant de quelque chose, qui cesse. Une dimension autre de l’être se déploie alors lorsqu’on laisse ce verbe, l’ego, s’immobiliser. En nous contentant d’observer, nous commençons à voir que rien qui se manifeste n’a la nature d’un ego ou d’un «moi». Une pensée qui s’élève n’est qu’une pensée qui s’élève. Si un sentiment apparaît, il n’a pas la nature d’un « moi» ni de nature personnelle. Si la confusion s’installe, cet avènement n’a pas la nature d’un «moi».

Il suffit d’observer pour constater que tout apparaît spontanément, et que rien n’a la nature inhérente d’un «moi». L’ego ne se manifeste dans la pensée qu’après coup. Accorder foi à cette pensée subséquente donne naissance à toute une vision du monde – «Je suis en colère; je suis confus; je suis anxieux; je suis enchanté; je suis déprimé; je n’ai pas atteint l’Éveil ou pire encore, j’ai atteint l’Éveil». Ainsi, cette pensée au je colore tout ce que nous percevons, tout ce que nous faisons et chaque expérience. On croit que la spiritualité est un état altéré. Néanmoins, cette illusion est l’état altéré. La spiritualité consiste à s’éveiller, pas à induire des états.

Un maître m’a un jour dit: «Si tu attends que le mental cesse, tu vas attendre éternellement.» J’ai ainsi dû repenser tout mon parcours notamment chez celui qui chemine sur une voie spirituelle, sert à prouver l’existence d’un ego qui doit être anéanti. Et pourtant, personne n’arrive à le localiser. Personne n’a encore réussi à me montrer un ego. J’ai vu des quantités de pensées, de sentiments, d’émotions. J’ai observé des manifestations de colère, de joie, de dépression ou de félicité, mais personne n’a jamais réussi à me faire voir l’ego.

Plusieurs personnes entretiennent une hypothèse voulant que, du fait que ces états d’âme existent, il doit dès lors y avoir un bouc émissaire, quelqu’un ou quelque chose en elles sur lesquels rejeter le blâme. Voilà une définition courante de l’ego. Mais ce n’est pas l’ego. Les choses sont parfois aussi simples qu’elles semblent l’être.Une pensée n’est parfois qu’une pensée, un sentiment, qu’un senti-ment et un geste n’est qu’un geste, exempt d’ego. L’ego qui existe, si effectivement l’ego existe, est simplement la pensée que l’ego existe. Mais il n’y a aucune preuve de son existence. Tout surgit spontanément, et si l’ego existe, ce n’est que ce mouvement particulier du mental qui dit: «C’est à moi.»

Cette pensée: «C’est à moi.» suit l’apparition d’une pensée ou d’une émotion. Ce peut-être : «j’éprouve de la confusion-c’est la mienne ou je suis jaloux/se – c’est à moi,» ou bien, en réaction à toute expérience : «Elle m’appartient.» L’on imagine que l’ego est présent, qu’il est à l’origine de cette pensée, de ce sentiment ou de cette confusion. Chaque fois que l’on remonte directement le fil des pensées pour localiser l’ego néanmoins, on constate qu’il n’était pas là avant celles-ci, mais qu’il leur succédait. Il s’agit de l’interprétation d’un événement, d’une pensée donnée ou d’une émotion. C’est la supposition consécutive à ce qui affirme «c’est à moi》.L’ego, c’est également la supposition consécutive à ce qui dit «ce n’est pas à moi», la négation d’une pensée ou d’un sentiment. Il est facile de voir que cette position implique qu’il y a là quelqu’un à qui cela n’appartient pas. Voilà l’univers de la dualité. C’est ma pensée, ma confusion ou peu importe, ou ce n’est pas ma pensée, pas ma confusion, pas à moi. Les deux sont des mouvements ou des interprétations de ce qui est. L’ego, ce n’est que cette interprétation, ce mouvement du mental; voilà pourquoi personne n’arrive à le repérer. Il est semblable à un fantôme. Ce n’est qu’un mouvement du mental particulièrement conditionné. Dès la petite enfance, on nous transmet des messages du genre: «Tu es jolie, tu es intelligent/e, tu as obtenu d’excellentes notes, tu es un bon garçon/une bonne fille.» L’enfant se met donc à le croire, à le ressentir, à s’approprier cette essence spirituelle pour en faire le «moi». De la même manière, on aura une pensée, et bientôt, on se met à éprouver cette pensée. Si l’on songe à une journée heureuse, ensoleillée, bientôt, le corps adopte cette tonalité, il éprouve quelque chose qui n’existe pas. Naturellement, ce phénomène rend difficile de se débarrasser de l’ego, car qui donc va se débarrasser de l’ego? Qu’est-ce qui tente de s’en défaire ? Voilà comment celui-ci se perpétue, persuadé qu’il a quelque chose à voir avec lui-même.

L’ego est un mouvement. C’est un verbe. Il n’est pas statique. C’est un mouvement mental consécutif au fait qui est en devenir perpétuel. Autrement dit, les ego sont toujours sur la voie. Ils sont sur la voie psychologique, sur la voie spirituelle, sur la voie de gagner plus d’argent ou d’acquérir une plus belle voiture. Cette impression du «moi» est en devenir perpétuel, il se meut sans cesse, réalise sans cesse. Ou alors, il fait le contraire – il se déplace à reculons, il rejette, il nie. Pour que ce verbe se perpétue donc, il doit y avoir mouvement.

Nous devons soit avancer, soit reculer, aller vers ou nous éloigner. Il nous faut quelqu’un à blâmer, et généralement, ce quel-qu’un, c’est nous. Nous devons aller quelque part, parce qu’autrement, nous ne sommes pas en devenir. Donc, le verbe – appelons-le «egoer» – n’agit pas si nous ne sommes pas en devenir. Dès qu’un verbe s’arrête, il n’est plus verbe. Aussitôt que vous cessez de courir, il n’y a plus de course – disparue; rien ne se passe.Ce sentiment d’ego doit continuer à bouger parce qu’aussitôt qu’il s’arrête, il disparaît, comme lorsque vos pieds cessent leur mouvement, la course s’est envolée.

Si nous laissons cette inexistence de l’ego nous pénétrer, si nous voyons qu’il n’y a pas d’ego, uniquement egoer, alors nous percevons l’ego tel qu’il est. Cela induit une cessation naturelle du mouvement allant vers ou s’éloignant de quelque chose. Cette cessation doit se produire tout doucement et très naturellement parce que la tentative d’arrêter, c’est encore un mouvement. Tant que nous tentons d’accomplir ce que nous croyons être spirituellement juste en cherchant à nous défaire de l’ego, nous le perpétuons. Constater tout simplement qu’il s’agit encore du verbe egoer per-mettra de cesser sans effort.

Cent chênes auront des personnalités différentes, mais pas d’ego. Donc, la cessation de ce verbe dit ego n’a rien à voir avec la cessation de la personnalité. Cela n’a rien à voir avec quoi que ce soit que nous puissions cerner : ni pensée ni sentiment et ni ego. S’il nous fallait arrêter ou s’il fallait que le monde cesse pour que nous soyons libérés, ce serait catastrophique. C’est le mouvement de devenir, le mouvement allant vers ou s’éloignant de quelque chose, qui cesse. Une dimension autre de l’être se déploie alors lorsqu’on laisse ce verbe, l’ego, s’immobiliser. En nous contentant d’observer, nous commençons à voir que rien qui se manifeste n’a la nature d’un ego ou d’un «moi». Une pensée qui s’élève n’est qu’une pensée qui s’élève. Si un sentiment apparaît, il n’a pas la nature d’un « moi» ni de nature personnelle. Si la confusion s’installe, cet avènement n’a pas la nature d’un «moi».

Il suffit d’observer pour constater que tout apparaît spontanément, et que rien n’a la nature inhérente d’un «moi». L’ego ne se manifeste dans la pensée qu’après coup. Accorder foi à cette pensée subséquente donne naissance à toute une vision du monde – «Je suis en colère; je suis confus; je suis anxieux; je suis enchanté; je suis déprimé; je n’ai pas atteint l’Éveil ou pire encore, j’ai atteint l’Éveil». Ainsi, cette pensée au je colore tout ce que nous percevons, tout ce que nous faisons et chaque expérience. On croit que la spiritualité est un état altéré. Néanmoins, cette illusion est l’état altéré. La spiritualité consiste à s’éveiller, pas à induire des états.

Un maître m’a un jour dit: «Si tu attends que le mental cesse, tu vas attendre éternellement.» J’ai ainsi dû repenser tout mon parcours vers l’illumination. Je tente de faire cesser mon mental depuis fort longtemps et je savais que je devais trouver une autre ligne de conduite. L’instruction spirituelle intimant «cesse tout simplement» ne concerne pas le mental, ni les sentiments ou la personnalité. Elle concerne la pensée subséquente qui attribue le crédit ou le blâme, et dit «C’est à moi». Stop! Voilà ce à quoi s’adresse l’enseignement sur le stop. Cessez cela. Et, à l’instant, ressentez à quel point le sentiment du moi est désarmé. Lorsque le sentiment d’un moi est désarmé, il ne sait plus quoi faire, aller de l’avant ou reculer, à droite ou à gauche. Voilà le type de cessation qui compte. Le reste n’est qu’un jeu. Alors, au cour de cette cessation émerge un état différent, un état non duel. Pourquoi? Parce que nous ne sommes plus en désaccord avec nous-mêmes.

Le mental entendra ces paroles et demandera: «Qu’est-ce qu’un état non duel?» C’est rater ce qui se passe à l’instant même. On éprouve un état indissociable; impossible de le découvrir dans un domaine abstrait et conceptuel, car ce domaine est en soi un état duel. Nous touchons l’état non duel si nous consentons à être désarmés, si nous ne tentons pas de prouver ou de nier quoi que ce soit, et que nous demeurons dans cette impression d’être désarmé, sans résistance. Un état qui découle d’être littéralement dans le corps et au-delà du corps, et que ce corps ne soit plus n conflit avec lui-même. Le mental sera traversé de pensées, ou pas, mais ces pensées ne sont pas en confit les unes avec les autres. Soyez curieux à propos de votre nature essentielle, à propos de ce que vous êtes vraiment, car cette curiosité vous ouvre à l’état non duel. Depuis cet état, vous réalisez qu’à priori vous ignorez ce que vous êtes. Avant cet état, lorsque vous saviez ce que vous êtes, vous étiez fragmenté – continuellement. D’ici, là où il n’ya pas de fragmentation, il n’y a pas le sentiment lourd, circonscrit, confiné d’un moi. Vous devenez le mystère.

La dualité permet d’avoir un sentiment du moi. Si nous sommes en colère par exemple, c’est là que nous le retrouvons. Mais lorsqu’il s’agit uniquement de la colère et qu’il n’y a pas d’identification à celle-ci, même cette fureur se déploie soudaine-ment. C’est une énergie qui s’élève, puis se dissipe d’elle-même. Et puis, que suis-je? Si je ne suis pas « ma» colère, si «je» ne suis pas le fragmenté-alors que suis-je?

Permettez au mystère qui est être de se déployer sous forme expérientielle. Commencez par le plan de l’être, plutôt que par la pensée. À mesure que se dévoile le mystère, nous devenons de plus en plus lumineux simplement par le fait d’être cette conscience pré-sente. Dès lors, le sentiment d’identité ne se définit plus au travers de la fragmentation et du conflit intérieur. Le mental ne trouve plus de crochet où suspendre une identité; celle-ci se déconstruit petit à petit au sein de l’ouverture. Mystérieusement et de manière paradoxale, plus l’identité se déconstruit, plus nous nous sentons vivants et présents. Le sentiment d’un moi est tel le sucre se dissolvant dans l’eau, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de moi; et pourtant, nous existons toujours. Le Bouddha aurait dit: «Tout le sucre s’est dissout-il n’y a plus de moi. » Ramana Maharshi aurait dit :«Le sucre s’est dissout dans l’eau, l’eau et le sucre sont identiques – il n’y a que le Soi.

L’ultime libération de l’ego non existant, c’est de constater qu’il n’a aucune pertinence. Tant qu’on le perçoit comme pertinent, il persiste à 《devenir». Toutes les bonnes intentions du monde ne font que l’alimenter. «Je me débarrasse de moi-même chaque jour un peu plus, et un beau jour, je me serai complètement défait de moi-même, je n’aurai absolument plus d’ego.» À quoi rime cette déclaration pour vous? Elle émane de l’ego. Toutefois, lorsque dans un instant de révélation, le moi est perçu comme étant sans pertinence, c’est la fin des haricots. Ce serait comme si quelqu’un qui joue au Monopoly, persuadé que sa vie dépend du fait de l’emporter, s’aperçoit tout d’un coup que c’est sans importance. Il peut continuer à jouer. Il peut aller se faire un sandwich. Cette vie n’a pas pour but de remporter un jeu spirituel; il s’agit de s’éveiller du jeu.

Il y a encore cet autre aspect en nous : le «conditionnement». Ce n’est pas l’ego. Le conditionnement, c’est le conditionnement; ce n’est pas un conditionnement de l’ego. Le conditionnement, c’est un programme dans l’ordinateur mental. Lorsque le pro-gramme est installé, ce n’est pas pour autant que l’ordinateur possède un ego. Il n’est que momentanément conditionné. Quand nous arrivons à l’âge adulte, le corps-esprit est dès lors parfaite-ment conditionné. On a attribué ce conditionnement à l’ego, mais il ne provient pas de celui-ci.

L’ego est une pensée qui survient dans le sillage du conditionnement, là où se produit toute violence véritable. Une fois perçu, le conditionnement est semblable à une programmation fournie par l’encodage génétique, la société, les parents, les professeurs, les gourous, etc. (le mental se conditionne aussi lui-même, mais c’est une autre histoire); dès lors, nous reconnaissons que ce conditionnement est exempt de tout moi. Le mental craint de le constater, car si cette programmation est dépourvue de moi, alors il n’y a per-sonne à blâmer. Inutile de nous blâmer ou de blâmer qui que ce soit plus que nous n’accuserions l’ordinateur dans lequel nous avons inséré un disque. Examinez l’instant présent pour voir le conditionnement, et l’on constatera qu’il est impossible de le mettre en accusation. Cela fait partie de l’existence.

Sans conditionnement, sans programmation dans notre corps, la respiration cesserait, le cerveau deviendrait purée, il n’y aurait pas d’intelligence – ce sont aussi des conditionnements. Le fait que nous interprétions le conditionnement comme «nôtre» le maintient fermement ancré en nous. Bien sûr, on se blâme, on blâme autrui et l’on tente de se défaire du conditionne-ment. Car nous sommes persuadés : « Je l’ai créé, je ne l’ai pas créé ou je ne peux m’en défaire», et le mental n’apprécie pas. Le mental se trompe en pensant qu’il peut supprimer ce conditionnement; pourtant, lorsque la Vérité pénètre, on devient de moins en moins duel. Si, lorsqu’il se manifeste, le conditionnement n’est pas considéré «mien», alors il se manifeste dans un état non duel. On pour-rait aussi appeler cet état non duel – état non conditionné. En présence d’un état non duel, le conditionnement subit une trans-formation alchimique. Un miracle sacré se produit.

Quand quelque chose survient, on peut éprouver «c’est moi ou je suis ici -, ce n’est pas moi. » Il s’agit de mouvements du mental, une pensée après-coup que l’on appelle plus communément ego. Lorsqu’apparaît l’état non duel, deux choses peuvent se produire. La première, ce sera un Éveil à notre nature essentielle, cet état non duel, cet être unifié. La seconde, c’est que le conditionnement, la confusion qui se sont transmis innocemment par l’ignorance, se réunifieront. Si le conditionnement qui se manifeste chez une per-sonne se trouvant dans un état non duel, n’en assume pas la propriété et ne le rejette pas, alors il y a un processus alchimique sacré par lequel le conditionnement se réunifie par lui-même. Telle la boue dans l’eau, il s’enfonce, tout naturellement. C’est un miracle spontané.

Ce peut être très délicat, car s’il y a le plus vague sentiment de possession ou la plus subtile dénégation, le processus sera en quelque sorte corrompu. Il exige de nous une douceur intérieure et une ouverture, car cet état non duel est très subtil; impossible de le chercher comme une massue en quête d’un clou. Voilà pourquoi les enseignements spirituels mettent l’accent sur l’humilité, qui nous permet d’aborder la vérité de notre être d’une manière douce et sans prétention. Impossible de prendre d’assaut les portes du paradis. Il faut plutôt consentir à devenir de plus en plus désarmés. Ainsi, la pure conscience de l’être rayonne d’un éclat plus brillant et nous réalisons qui nous sommes. Nous sommes le rayonnement.

Grâce à l’intensité de cette lumière, nous constatons que nous sommes cet éclat, cette radiance et nous réalisons, par notre propre expérience, ce vers quoi tend cette renaissance humaine. Ce rayonnement revient pour se retrouver, pour chaque particule de confusion, pour chaque parcelle de souffrance. Tout ce qu’a tenté de fuir le moi, le Soi sacré revient pour le retrouver. Le Soi lumineux se met à découvrir sa nature essentielle et désire libérer l’ensemble de lui-même, se délecter de lui-même et s’aimer vraiment dans toutes ses nuances. L’amour de ce qui est vraiment sacré, pas l’amour dece qui pourrait être. Cet amour libère ce qui est.

Le coeur véritable de chaque être humain, c’est l’amoureux de ce qui est. Voilà pourquoi il est impossible d’échapper à aucune partie de nous-mêmes. Non parce que nous sommes un désastre, mais parce que nous sommes conscients et revenons pour retrouver l’ensemble de nous-mêmes en cette incarnation. Peu importe notre confusion, nous reviendrons pour chaque parcelle de nous-mêmes laissée hors du jeu. Ainsi naissent la compassion et l’amour authentiques. Les traditions spirituelles ont affirmé depuis trop longtemps qu’il faut se départir de tant de choses pour atteindre l’amour. C’est un mythe. La vérité, c’est que c’est l’amour qui libère réellement.

Adyashanti – Les émotions entretiennent l’illusion d’un moi distinct

Un examen profond révélera que la peur est le facteur qui entre-tient notre sentiment d’un moi intact. Pourquoi avons-nous si peur? Parce que notre notion d’identité est circonscrite et dualiste.Notre image de nous-mêmes est celle de personnes susceptibles d’être blessées ou offensées, à qui du tort peut être fait.

Notre investigation doit nous amener à comprendre que ce sentiment d’un moi, ce sentiment d’être séparé, est illusoire et fallacieux. C’est un petit mensonge que nous nous racontons. Cette conclusion – je suis la personne que j’imagine être – éveille en nous la peur. Car cette persona imaginée croit également qu’elle est susceptible d’être blessée n’importe quand; le moi illusoire perçoit la vie comme un péril. On nous lance une parole injurieuse et le moi illusoire est immédiatement perturbé, il souffre. Le fait que notre sentiment d’un moi peut être si facilement blessé explique cette insécurité.

Cette impression d’un moi distinct résulte d’un amalgame de pensées et de sentiments. L’essentiel de nos émotions provient dece que nous pensons. Outre la tête, le corps est une machine qui reproduit ce que le mental pense. Le corps et l’esprit sont indissociables; ce sont les deux faces d’une même pièce. Nous éprouvons ce que nous pensons. L’émotion est une pensée vécue. Cette dernière est souvent inconsciente. Notre connexion a ceci d’étonnant que le centre affectif, celui du coeur, traduit la pensée en sentiments; il transforme les concepts en des sensations tangibles et bien vivantes.

Évoquer le plan mental et le plan du coeur peut donner l’im-pression qu’il s’agit de deux aspects distincts. Il s’agit pourtant d’un seul et même phénomène – le corps et l’esprit, le sentiment et l’émotion, deux faces d’une même pièce.

En nous éveillant des fixations et des identifications sur le plan mental et celui de l’émotion, nous constatons que personne n’est susceptible d’être blessé, qu’aucun être ou objet n’est menacé par la vie, car nous sommes la vie elle-même. Si nous voyons, si nous percevons que nous sommes la totalité de l’existence, il n’y a plus à la craindre; nous ne redoutons plus la naissance, la destinée, la mort. Jusqu’à ce que nous en prenions conscience, cependant, la vie nous intimidera et il faudra franchir cet obstacle.

L’éveil sur le plan de l’émotion nous affranchit de ces fixations causées par la peur et permet de pressentir le monde plus en pro-fondeur; un potentiel nouveau s’offre à nous. Le corps émotionnel, le domaine du coeur, est capable d’une extraordinaire sensibilité. Le coeur est l’organe sensoriel de l’invisible. C’est ainsi que l’invisible se pressent, s’éprouve et se connaît. Le phénomène diffère radicalement du concept du «moi» qui se ressent lui-même et se détermine par l’émotion et le sentiment. Plus nous sommes éveillés, plus le complexe corps-esprit devient un instrument sensitif du Soi absolu et unifié.

En quelque sorte, plus nous nous éveillons du corps émotionnel, plus celui-ci s’éveille. Il s’ouvre. Par l’apaisement des émotions, le corps émotionnel s’épanouit. Car nous nous déployons à mesure que nous comprenons qu’il n’y a rien à protéger – les pensées, les idées et les convictions qui nous incitent à nous protéger sont fallacieuses.

L’éveil sur ce plan est davantage une ouverture du coeur spirituel. Vous avez sûrement vu des représentations du Christ où celui-ci déchire la peau de sa poitrine pour dévoiler un coeur radieux, merveilleux, lumineux. Voilà une illustration de l’ouverture du coeur spirituel. Un être éveillé montre une disponibilité affective exceptionnelle; il ne se protège nullement sur le plan émotif ou intellectuel. S’éveiller sur le plan du coeur, c’est se vivre soi-même sans protection aucune de manière ultime. En l’absence de toute protection, l’amour coule de nous naturellement – un amour inconditionnel.

La nature ultime de la réalité ne fait pas de discrimination; la réalité est ce qui est. Le coeur éveillé aime sans discernement. En d’autres mots, il aime tout, car il perçoit tout comme partie de lui-même. Voilà comment s’exprime la réalité une fois que cet amour inconditionnel s’épanouit en nous. La réalité amoureuse d’elle-même passe par le coeur éveillé. Il n’y a rien de personnel. La réalité, une amante exempte de discernement, est amoureuse d’elle-même. Elle aime tout, et chacun. Elle aime même ceux qui n’ont pas une personnalité très attachante. Il est formidable d’aimer des choses, des événements et des gens que vous n’appréciez pas personnellement. Vous constatez que cela n’a plus d’importance.Lorsque la vérité est éveillée, elle affectionne tout; elle aime les gens que votre personnalité apprécie et ceux que cette dernière a en aversion. Le coeur éveillé chérit le monde tel qu’il est, non pas comme il est censé être. Avec l’éveil du coeur afflue l’amour inconditionnel, l’une des vocations les plus nobles de la destinée humaine.

Adyashanti – Le contrôle

Que se passe-t-il si vous renoncez à tout contrôle et à chaque désir, jusqu’au désir le plus infinitésimal de contrôler quoi que ce soit, n’importe où, y compris tout ce qui pourrait vous arriver à l’instant même ? Imaginez que vous soyez capable de renoncer en bloc et parfaitement à toute forme de contrôle. Si vous étiez capable de délaisser le contrôle absolument, en bloc et intégralement, vous seriez alors un être spirituellement libéré. Plusieurs personnes ont affirmé que l’émotion primaire, qui anime les niveaux les plus intimes de la constitution affective de l’être humain et qui le maintient en état de dissociation est la peur. À mon avis, ce n’est pas exact. J’estime que la question fondamentale, qui fait que les êtres humains conçoivent qu’ils sont séparés les uns des autres, c’est le désir et la volonté de contrôler. La peur jaillit lorsqu’on croit que l’on a perdu le contrôle. Ou encore, en réalisant qu’on n’a aucun contrôle, sans avoir renoncé au désir de contrôle.

Le contrôle que j’évoque réfère à toutes ses formes. Le plus évident, c’est celui que l’être humain tente d’exercer sur ses semblables. Songez à une conversation quelconque que vous avez eue aujourd’hui, vous découvrirez probablement des traces de tentative de contrôle. Vous cherchiez à dominer la pensée de votre interlocuteur pour qu’il vous comprenne, qu’il acquiesce à vos propos, qu’il vous écoute ou qu’il vous apprécie. Cela ne s’applique peut-être pas à toutes les conversations ni à tout le monde, mais c’est probablement vrai pour l’essentiel des échanges.

Je parle de toutes les formes de contrôle et de pouvoir, des plus évidentes jusqu’aux plus subtiles. En l’occurrence, nous essayons d’altérer notre expérience de l’instant présent. Voici l’une des questions que l’on m’adresse fréquemment : « Adya, j’ai vécu une sorte d’Éveil spirituel, du moins j’en ai l’impression, et même s’il s’est produit, je n’ai pas le sentiment qu’il est parachevé. Je ne pense pas être complètement libre. Je me suis peut-être éveillé à ce que je suis et à qui je suis, et c’était merveilleux et profond, mais Adya, quelque chose ne s’est pas accompli jusqu’au bout. » Ce à quoi succède : « Que faut-il faire ? » À mon sens, chaque personne dans cette situation est aux prises avec un problème de contrôle. Tous sont aux prises avec la question du contrôle, à moins d’être totalement affranchis du désir de contrôle.

En termes réducteurs, la différence entre ceux qui ont vécu des éveils spirituels profonds et vastes à leur nature essentielle et ceux qui sont véritablement libérés et libres réside en ce simple fait : ceux qui sont libérés et libres ont totalement et absolument renoncé au contrôle. C’est vrai parce que, si vous y renoncez, il est alors impossible de ne pas être libéré et libre. C’est comme de sauter d’un édifice. Impossible de ne pas tomber ; la gravité vous attire vers le sol. Si vous abandonnez intégralement le désir de contrôler, vous aboutissez à la complète réalisation de soi.

Dans sa forme la plus élémentaire, ce désir de contrôle donne l’impression d’un poing serré dans l’abdomen. Ce que vous découvrez, lorsque vous aurez examiné les diverses formes de contrôle de l’expérience, c’est ce poing crispé élémentaire. Et en vous en approchant, vous remarquez qu’il possède un protecteur. Ce protecteur de notre désir élémentaire de contrôle est la rage. D’habitude, celle-ci est plus destructrice que n’importe quel sentiment dont vous admettez l’existence en vous. C’est l’ultime protecteur du contrôle, parce que la proximité d’une personne en fureur incite naturellement à s’en éloigner, à moins d’être stupide. On peut être attiré par une foule d’autres attitudes : une personne qui se victimise ou qui est dépressive, ou quelqu’un qui victimise ou présente d’autres schémas de comportement. On peut être poussé à s’attacher ou à se mêler à toutes sortes de schémas affectifs, mais peu de gens se sentent à l’aise avec la rage ou y trouveront quelque valeur, comme une phalène à la flamme. En ce sens, elle s’avère une excellente protectrice. Elle accomplit son boulot très efficacement.

Plusieurs personnes ne se défont jamais de leur rage, parce que juste au-dessus sévit la peur. Généralement, la peur agit. Sous l’effet d’une panique terrible, la plupart des gens fuiront. Mais une minorité qui affrontera sa peur en sortira avec le sentiment qu’il y a quelque chose de formidablement destructeur au-dessous. Et si vous êtes capable de franchir cette tempête, vous constaterez une saisie existentielle, d’habitude au creux de l’abdomen, capable de survivre à même les éveils spirituels très profonds. La peur survivra, ou peut-être pas, et la rage survivra, ou peut-être pas. Normalement, elles disparaissent. Mais la saisie existentielle se perpétue, parfois sous sa forme la plus élémentaire.

Voilà pourquoi je vous suggère d’imaginer n’avoir aucun mouvement de contrôle en vous, aucun désir de contrôle, aucune idée de contrôle — que ce soit à un niveau flagrant ou sur le plan le plus profond de votre propre expérience. Imaginez que le désir de contrôle soit complètement absent de votre être. Ce désir est, ultimement, notre réticence à atteindre l’Éveil parfait.

Il est drôle de constater que les gens, qui atteignent ce stade de leur évolution spirituelle, une fois qu’ils ont vécu un éveil profond et qu’ils affrontent la question essentielle du contrôle, demanderont souvent : « À votre avis, dois-je aller quelque part, comme dans un monastère ? Je voudrais entrer en retraite à vie ; croyez-vous que c’est une bonne idée ? » Et je réponds invariablement par la négative. C’est comme si le principal d’école disait : « Le mieux à faire ne serait-il pas de rester au lit pour les vingt prochaines années ? » Cela résoudra-t-il votre problème ? Absolument pas ! Il faut vous lever et sortir. Et pour ce faire, il faut délaisser le contrôle.

Il s’agit d’un mouvement très profond ; en vérité, il s’agit d’une mutation du noyau même de votre moi intérieur. Ce n’est pas forcément une révélation, un accomplissement spirituel ou une réalisation. C’est une mutation fondamentale de notre manière d’exister / vivre en l’absence de la volonté de contrôler. Si vous atteignez le noyau du contrôle, vous aurez probablement l’impression d’être en train de mourir. C’est ainsi pour la plupart des gens, car en un sens, vous êtes effectivement en train de mourir. Vivre soudainement et totalement en l’absence de tout contrôle, même sur le plan le plus fondamental, est une mort. Pour la plupart d’entre nous, notre vie entière dépend du contrôle dès l’âge d’un an. Même à l’âge de deux ans, des tout-petits tentent de contrôler leur mère, de régir et de manipuler leurs parents. Cette pulsion de contrôle commence très jeune, un sentiment presque biologique : « Je vais survivre, si je peux contrôler. »

Il s’agit donc d’une transformation tout à fait primordiale. Voilà pourquoi je dis que nous pouvons vivre une réalisation très profonde de la Vérité et, au bout du compte, la liberté ultime ne découle pas forcément de cette réalisation. Elle provient d’une capitulation au siège le plus profond de notre être. Il va sans dire, la plupart des gens auront besoin d’une réalisation profonde de leur nature essentielle pour parvenir à s’abandonner naturellement et spontanément. Cette réalisation se parachève grâce à une abdication aveugle et imprévisible du contrôle. Bien sûr, à ce stade, on me demande : « Mais, comment faut-il s’y prendre ? » Et tout ce que je peux répondre, c’est que la question même découle directement de votre désir de contrôle. Celui-ci tente d’accomplir cette abdication. La question comment relève toujours de ce désir. Comment peut s’avérer utile de temps à autre, mais en définitive, elle émane du contrôle. Il n’y a pas de comment, contentez-vous de lâcher prise.