Comment préserver l’âme d’un enfant?
Un grand dessein, mais une utopie : l’âme puérile se corrompt toute seule. Selon les apparences, le grand cor-rupteur, c’est «l’extérieur» : la société, l’école, les parents.
En fait, quasiment dès le berceau, nous nous corrompons nous-même. Il ne s’agit donc pas, ici, de préserver mais de sauver; de mettre cet enfant que nous chérissons plus que tout, en position de se sauver lui-même.
Nous sommes tous des âmes malades – du moins, le virus de la cécité interne, de la pauvreté interne, de la mort intérieure, est lové dès la naissance dans les abysses, hélas inconscients, de l’intimité de nous-même. Au tournant, pourtant scintillant de vie de l’adolescence, nous allons, toujours dans la nuit de l’inconscience, activer le virus. Et, spirituellement parlant, nous entrerons dans le coma.
Je le répète : la société a bon dos, les parents aussi…
Ces instances extérieures n’arrangent rien, c’est vrai !
Mais elles ne font qu’attiser une malédiction qui est déjà sur nous. La malédiction est sur nos subjectivités, et chacun de nous en est l’inventeur et l’ouvrier zélé.
Quel est le salaud qui met de la suie sur le monocle de l’âme? Qui m’enténèbre et me salit au point que j’oublie que je suis un esprit, que je suis une sensibilité – plus grave encore, simplement que je suis ? Oui, qui est le dispensateur de toute cette crasse interne, QUI S’ACHARNE AINSI SUR MOI? Moi. Moi personnellement.
Sûrement, je veux dire quelque chose ou quelqu’un en moi? Non, je veux bien dire moi; je veux dire exactement moi. Donc, voilà l’incroyable vérité : c’est nous-même et pas un autre à l’extérieur de nous, et pas un autre à l’intérieur de nous, qui nous massacrons – j’ai failli dire bousillons – d’instant en instant, sans jamais nous lasser, et sans que notre moi intérieur habituel en ait la moindre conscience. (Forcément! Le pus déferle d’un en deçà de ce moi que celui-ci méconnaît… farouchement.) Quoi, un en-deçà du moi de mon esprit ! Quelqu’un derrière ce fond ultime de moi-même ! Et cet être serait… moi !
Eh oui… La valise de votre moi-ité a un double fond, et il va vous falloir défoncer le leurre de la surface sur laquelle vous évoluez ordinairement si votre vœu est de vous rencontrer. Même quand nous avons eu la chance inestimable de nous constituer en un esprit centré autour d’un moi bien vivant, actif, pugnace, notre intention reste totalement muette sur le fait qu’en nous tenant en ce moi, nous ne nous tenons pas, spirituellement, ici, mais là, mais devant.
Ce que nous reconnaissons en nous-même comme le sujet est, en vérité, un objet. Ce que nous reconnaissons en nous-même comme la source, n’en est que la résurgence, en aval. En conclure que notre moi intérieur habituel est, par essence, pervers et méprisable, serait commettre une immense erreur.