Stephen Jourdain – Comment préserver l’âme d’un enfant ?

Comment préserver l’âme d’un enfant?

Un grand dessein, mais une utopie : l’âme puérile se corrompt toute seule. Selon les apparences, le grand cor-rupteur, c’est «l’extérieur» : la société, l’école, les parents.

En fait, quasiment dès le berceau, nous nous corrompons nous-même. Il ne s’agit donc pas, ici, de préserver mais de sauver; de mettre cet enfant que nous chérissons plus que tout, en position de se sauver lui-même.

Nous sommes tous des âmes malades – du moins, le virus de la cécité interne, de la pauvreté interne, de la mort intérieure, est lové dès la naissance dans les abysses, hélas inconscients, de l’intimité de nous-même. Au tournant, pourtant scintillant de vie de l’adolescence, nous allons, toujours dans la nuit de l’inconscience, activer le virus. Et, spirituellement parlant, nous entrerons dans le coma.

Je le répète : la société a bon dos, les parents aussi…

Ces instances extérieures n’arrangent rien, c’est vrai !

Mais elles ne font qu’attiser une malédiction qui est déjà sur nous. La malédiction est sur nos subjectivités, et chacun de nous en est l’inventeur et l’ouvrier zélé.

Quel est le salaud qui met de la suie sur le monocle de l’âme? Qui m’enténèbre et me salit au point que j’oublie que je suis un esprit, que je suis une sensibilité – plus grave encore, simplement que je suis ? Oui, qui est le dispensateur de toute cette crasse interne, QUI S’ACHARNE AINSI SUR MOI? Moi. Moi personnellement.

Sûrement, je veux dire quelque chose ou quelqu’un en moi? Non, je veux bien dire moi; je veux dire exactement moi. Donc, voilà l’incroyable vérité : c’est nous-même et pas un autre à l’extérieur de nous, et pas un autre à l’intérieur de nous, qui nous massacrons – j’ai failli dire bousillons – d’instant en instant, sans jamais nous lasser, et sans que notre moi intérieur habituel en ait la moindre conscience. (Forcément! Le pus déferle d’un en deçà de ce moi que celui-ci méconnaît… farouchement.) Quoi, un en-deçà du moi de mon esprit ! Quelqu’un derrière ce fond ultime de moi-même ! Et cet être serait… moi !

Eh oui… La valise de votre moi-ité a un double fond, et il va vous falloir défoncer le leurre de la surface sur laquelle vous évoluez ordinairement si votre vœu est de vous rencontrer. Même quand nous avons eu la chance inestimable de nous constituer en un esprit centré autour d’un moi bien vivant, actif, pugnace, notre intention reste totalement muette sur le fait qu’en nous tenant en ce moi, nous ne nous tenons pas, spirituellement, ici, mais là, mais devant.

Ce que nous reconnaissons en nous-même comme le sujet est, en vérité, un objet. Ce que nous reconnaissons en nous-même comme la source, n’en est que la résurgence, en aval. En conclure que notre moi intérieur habituel est, par essence, pervers et méprisable, serait commettre une immense erreur.

Adyashanti – L’éveil sur le plan viscéral

Le troisième type d’éveil est éprouvé viscéralement. Le plan instinctif concentre notre sentiment d’identité le plus existentiel. C’est une partie de nous-mêmes où réside une saisie primaire-l’attache-ment à notre racine, un peu comme un poing serrant les viscères. Il s’agit de notre conception d’un moi la plus rudimentaire. C’est autour de cette saisie et de cette contraction que se construisent les autres identités.

Lorsque I’Esprit – ou la conscience – prend forme, lorsqu’il se manifeste, c’est initialement un choc. Ce passage subit d’un potentiel illimité à l’expérience circonscrite de la forme humaine est traumatisant pour la conscience. Cette contraction – ce choc – éprouvée physiquement constitue la saisie viscérale. Pour vous figurer ce que je décris, imaginez que vous êtes entrain de naître. Vous émergez d’un environnement totalement protégé, chaud, maternel pour vous retrouver brusquement dans une salle plus froide que votre nid douillet, une salle éclairée par des lumières crues et remplie de voix tonitruantes. Quelqu’un vous attrape, tire sur vous. Voilà votre entrée dans l’existence, dans la vie hors de la matrice. Ce scénario permet de comprendre aisément pourquoi ce bébé naissant développe un noeud dans l’abdomen. L’arrivée en ce monde est si brutale, soudaine et inattendue qu’elle provoque ce genre de saisie.

En plus du choc initial résultant du fait d’avoir pris forme, plusieurs expériences viendront consolider cette saisie viscérale tout au long de votre vie. Dans l’enfance ou en grandissant, la plupart d’entre vous vivent des événements qui poussent quelquefois à la contraction par peur ou à cause d’un traumatisme. Ces événements exacerbent la saisie sur le plan viscéral. Comment aborder cette saisie? Comment la gérer? Pour finir, vous devrez affronter la crainte de cette saisie, constituée d’une réaction de peur. Un peu comme si un poing empoignait votre abdomen en hurlant: « Non, non, non, non! Non à la vie! Non à la mort! Non à l’existence! Non à la non-existence! Non, non, non, je veux m’accrocher! Je veux m’y tenir! Je ne veux pas lâcher prise! »

Même le mouvement vers l’éveil peut susciter la peur. À son approche, il est normal de tressaillir, car l’illumination libère cette saisie viscérale. Rien n’assure que cette délivrance de la saisie perdurera; elle pourrait reprendre. Initialement, pourtant, l’éveil libère cette saisie. À son approche, on éprouve intuitivement une constriction et un attachement encore plus intense, comme si la mort, ou l’anéantissement, était imminente. Une frayeur irrationnelle s’élève dans l’organisme.

Quand quelqu’un me divulgue ce genre d’expérience, je précise qu’elle est normale, que la majorité des gens la vivent à un moment ou à un autre. « Ce n’est pas un problème. Vous prenez simplement conscience d’une saisie dont vous ignoriez l’existence. »

Sur ce, la question suivante sera : « Comment puis-je m’en défaire? » Celle-ci se pose depuis la perspective de la conscience de l’ego, qui cherche toujours à se délester de ce qui est désagréable. Et, bien sûr, tout ce dont on cherche à se débarrasser tend à s’incruster. La tentative même de se débarrasser d’une chose la perpétue. Ce rejet lui accorde inconsciemment une réalité. Si vous essayez de la réprimer, c’est que vous la percevez comme réelle. Ainsi, cette perception d’une réalité donne de l’énergie précisément à ce dont vous cherchez à vous défaire. Aucune méthode n’est susceptible de résoudre ce type d’attachement. En un sens, votre réalisation la plus importante sera de prendre conscience qu’il n’y a rien à faire.

La question « Que faut-il faire? » est une tentative détournée pour maîtriser la situation. Le lâcher-prise constitue l’unique anti-dote à cette obstination. Néanmoins, la situation est délicate, car même l’effort en vue de lâcher prise est intrinsèquement un acte de volonté personnelle.

Tout le monde a sans doute essayé un jour de lâcher prise ou de s’abandonner. Effort et abandon sont toutefois mutuellement exclusifs. Tant que nous nous efforçons, il n’y a pas de lâcher-prise.

Vient donc un temps où toute technique disparaît, où toute méthode visant à réajuster la conscience sur un état plus clair échouera. Nos modalités ne serviront plus à rien. Un temps viendra où il faudra comprendre que le « moi » ne peut rien faire en vue de lâcher prise sur un plan existentiel, qu’il n’a rien à faire pour s’abandonner. Et pourtant, l’abandon et le lâcher-pris sont impératifs.

À ce stade, il faut d’abord et avant tout assimiler un fait : ni le « moi » ni le « je » n’y peuvent rien. Intégrer ce principe, laisser cette cognition vous pénétrer, constitue l’ultime lâcher-prise; c’est le poing qui s’ouvre, le dégagement du sentiment du moi le plus existentiel, le plus rudimentaire.

Et pour arriver à cela, il faut comprendre qu’il vous est impossible d’y parvenir. Vous devez atteindre le bout de la route, le bout de votre corde. C’est seulement alors qu’un abandon spontané surviendra. La seule chose à faire, en tant qu’être humain, c’est de concevoir que toute forme d’attachement est futile, que toute forme d’attachement est un rejet de ce que nous sommes, de qui nous sommes.

En renonçant à cette saisie viscérale, vous aurez l’impression de mourir. Malgré tout, vous ne mourez pas; seule l’illusion d’un moi distinct périt. Vous croyez pourtant devoir mourir. C’est uniquement lorsque vous êtes prêt à mourir au nom de la vérité que se relâchera vraiment cette saisie.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais aborder un point concernant certaines personnes. Des gens connaissent des épreuves très amères au cours de leur vie ils ont vécu des traumatismes qui ont pu provoquer une saisie encore plus intense sur ce plan primordial de l’être. Chez ces individus, la saisie instinctive se consolide à mesure qu’ils accèdent à des états de conscience plus profonds. Si vous êtes de ceux-là, vous devez surtout ne rien forcer. Vous aurez peut-être besoin d’une aide professionnelle pour aborder cet aspect de l’éveil; mieux vaut traiter le traumatisme vécu pour être en mesure de lâcher prise. Si cela vous concerne, je vous suggère de trouver un spécialiste qui sait s’y prendre avec ces expériences et comment les gérer efficacement. Si l’approche de ce professionnel vous convient, elle apportera des résultats. Ce plan primordial de la saisie se relâchera peu à peu.

Bien sûr, pour nous tous il est plus ou moins traumatisant de grandir. En dépit d’une enfance merveilleuse, de parents adorables et d’un cadre familial formidable, les traumatismes surviendront. La vie est en soi un traumatisme; elle est perturbante pour le moi distinct. L’existence met en péril le sentiment d’un moi séparé.Impossible d’y échapper.

L’éveil sur le plan viscéral exige d’affronter toute peur existentielle la plus primaire et de s’en libérer. Il demande d’affronter ce que je nomme volonté personnelle ou ce qui en nous revendique – « Voilà ce que je veux et c’est ainsi que je le veux. » Il demande aussi de s’affranchir de tout cela. Ultimement, la notion de volonté personnelle est illusoire, et c’est pourquoi il est si frustrant d’y faire appel pour se rendre maître et dicter le cours des événements.Illusion ou pas, il faut l’affronter et le gérer. Cet accomplissement requiert le plus grand abandon, la dévotion la plus fervente et un engagement sincère à la vérité.

La réalisation authentique, l’illumination vraie, résulte du renoncement intégral à la volonté personnelle – un lâcher-prise inconditionnel. Il va sans dire que cette capitulation effraie notre moi illusoire, qui ne peut que l’interpréter comme un traumatisme. Nous craignons que le fait de lâcher prise nous mette en péril. Nous croyons que si nous renonçons à la volonté personnelle, nous n’obtiendrons jamais ce que nous désirons, que le monde ne sera jamais comme nous le souhaitons et que rien ne se passera jamais selon notre bon vouloir.

Pour finir, nous constatons que ces conclusions ne sont que des pensées. Dans les faits, la volonté personnelle n’existe pas. Jusqu’à ce que nous le comprenions toutefois, nous devrons subir les caprices de la volonté.

Voilà où nous approchons de la sagesse de la désillusion, laquelle marque le terme de l’entêtement. Ce n’est qu’en y parvenant que survient la transformation.